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15 octobre 2010

ARTE POVERA


L'Arte Povera ou la guérilla   comme stratégie de l'art.


 

Les acteurs de Arte Povera, refusant de se prêter au jeu   de l’assignation d’une identité, c’est-à-dire de se laisser enfermer   dans une définition, rejettent la qualification de mouvement, pour lui préférer   celle d’attitude. Etre un artiste Arte Povera, c’est adopter   un comportement qui consiste à défier l’industrie culturelle et plus largement   la société de consommation, selon une stratégie pensée sur le modèle de la guérilla.   Dans ce sens, Arte Povera est une attitude socialement engagée sur le   mode révolutionnaire. Ce refus de l’identification et cette position politique   se manifestent par une activité artistique qui privilégie elle aussi le processus,   autrement dit le geste créateur au détriment de l’objet fini. En somme,   en condamnant aussi bien l’identité que l’objet, Arte Povera   prétend résister à toute tentative d’appropriation. C’est un art qui   se veut foncièrement nomade, proprement insaisissable.

 

Néanmoins on peut tenter de dénombrer les artistes italiens qui   ont participé à cette expérience, essentiellement entre 1966 et 1969 :

 

Giovanni Anselmo, Alighiero e Boetti, Pier Paolo   Calzolari, Luciano Fabro, Jannis Kounellis, Mario Merz,   Marisa Merz, Giulio Paolini, Pino Pascali, Giuseppe   Penone, Michelangelo Pistoletto et Gilberto Zorio ; sans   oublier le critique d’art qui a formulé et diffusé la ligne théorique d’Arte   Povera, Germano Celant.

 

L'expression "Arte Povera" est utilisée pour la   première fois en septembre 1967 par Germano Celant pour intituler une   exposition présentée à Gênes. Elle emprunte le prédicat "pauvre"   à une pratique théâtrale expérimentale, mais selon quelle signification ? On   a tantôt suggéré qu’il s’agissait d’utiliser des matériaux pauvres,   comme des objets de rebus ou des éléments naturels. Mais de nombreuses œuvres   réfutent cette interprétation en intégrant des matières plus sophistiquées comme   le néon. La référence fréquente à la nature est plutôt à considérer comme un   exemple de point d’appui anhistorique à partir duquel il devient possible   de critiquer le présent. Dans ce sens, les artistes de l’Arte Povera   participent pleinement à la réflexion sur la dialectique entre la nature   et la culture.

 

Mais qu’est-ce alors que cette pauvreté que doit viser l’art ?   En reprenant l’analogie établie par Germano Celant entre l’art   et la guérilla, on peut émettre l’hypothèse que la pauvreté est à l’art   ce que l’artillerie légère est au guérillero : l’artiste doit   idéalement renoncer au besoin d’un équipement lourd qui le rend dépendant   de l’économie et des institutions culturelles. La pauvreté de l’art   est une notion négative qui pose une interdiction de moyens quant à la réalisation   des œuvres, mais qui requiert une richesse théorique afin de se guider.

 

Ainsi, Arte Povera participe pleinement de l’utopie   contestataire de la fin des années 60 et revendique à sa manière une tendance   de l’art contemporain italien face à la suprématie du marché de l’art   américain.

Les artistes et leurs œuvres . 

La plupart de ces textes sont extraits ou rédigés à partir   des ouvrages La Collection, Musée national d’art moderne, Ed. du   Centre Pompidou, Paris, 1987, et La Collection, Acquisitions, 1986-1996, Ed. du Centre Pompidou, Paris, 1996.

 

Giovanni Anselmo .
  Borgofranco d'Ivera, Italie, 1934
 

    Giovanni Anselmo, Senzo titolo (Struttura   che mangia), 1968
  (Structure qui mange)
  Granit, fils de cuivre et laitue fraîche
70 x 23 x 37 cm

 

Composée de deux blocs de granit polis et d’une laitue fraîche,   cette œuvre repose sur l'opposition des matériaux qui sont ici assemblés   et maintenus en équilibre. Le contraste entre l’élément minéral, en l’occurrence   du granit souvent utilisé dans l’art funéraire, et la laitue fraîche, signe   de vitalité, souligne l’effet de l’altération du temps et la fragilité   du monde vivant. En effet, il faudra changer fréquemment l'élément végétal pour   maintenir l’équilibre précaire de cette sculpture. Pourtant, en dépit   de son caractère éphémère, c’est lui qui préserve l’unité de la structure   grâce à son potentiel énergétique. La cohérence du tout dépend du volume qu'il   occupe. L’œuvre prend également une dimension humoristique en apparaissant   comme une grande bouche vorace qui engloutit sa ration quotidienne.

 

  Biographie

 

Giovanni Anselmo est très discret quant à son parcours précédant son entrée         sur la scène artistique. Depuis 1966, il réalise des sculptures à partir de matériaux         naturels comme la pierre, le bois, le fer, ou de matières végétales. Anselmo repositionne         les matières pour tenter de leur redonner leurs qualités originelles : tension, énergie, éternité, basées sur les lois de la physique comme la pesanteur,         la gravité et sur leurs transformations possibles (granit et         laitue, rails de chemin de fer et éponge végétale par exemple). Le granit, symbole         de dureté, lui permet de signifier des notions comme l’éternité ou la masse,         qu’il met en scène pour figurer la loi physique de la pesanteur et par extension         toutes les lois primordiales de la nature. Ainsi dans Direzione (Direction), 1967-1968, Mnam, bloc triangulaire orienté vers le nord, axe         de référence, il insère une boussole dont la direction de l'aiguille souligne         la symétrie du triangle. Cette œuvre fait surgir dans l’espace culturel         du Musée une dimension originelle, celle de la présence de l’axe tellurique       qui renvoie à l’éternité.

 

Dans les années 70, Anselmo remplace la matière par le mot, ce qui le rapproche,         du point de vue des moyens, de l'Art conceptuel (1). Toutefois,         son propos est différent puisqu’il ne s’interroge pas sur le rapport         du signe linguistique à son référent. Anselmo entend plutôt manifester une tension         entre le virtuel et le réel, comme par exemple dans Infinito, 1971, où     l’artiste "projette le mot infinito sur une paroi         sur laquelle il ne peut être lu ; pour lire l’écrit infinito,       il faut "aller" jusqu’au point situé à l’infini".

 

(1) L'Art conceptuel.         Voir le dossier pédagogique sur les collections du Mnam .  

 

   

 

Jannis Kounellis .
 
Le Pirée, Grèce, 1936

  Kounellis-M.jpg (2595 octets) Jannis Kounellis,   Senza titolo, 1969
  (Sans titre)
  Plaque d'acier et cheveux
100,5 x 70,5 x 5 cm

Kounellis refuse généralement tout titre à ses œuvres, parce qu’il entend   revenir, en deçà des mots et des symboles culturels, à l’immédiateté des   sensations. L’image de cette plaque de métal d’où surgit une tresse   de cheveux offre à la fois une dimension théâtrale et une invitation au toucher.
  En assemblant ces matériaux opposés par leur texture (le froid, le chaud), l’artiste   reconstitue une unité par la teinte, comme si ces éléments avaient été liés au-delà   de leur stade iconographique. Si la rencontre fortuite entre ces deux objets évoque   l’univers de De Chirico, elle ne peut être considérée comme une nostalgie   du passé. Kounellis propose un champ de perception, autre que celui du regard cultivé.

 

    Biographie

 

Lié à l’Arte Povera, Kounellis a bâti une œuvre où se mêlent     peinture et sculpture, architecture et musique, théâtre et danse. De 1958 à 1965,     il peint des lettres, des flèches et des numéros, sur des supports de bois ou     de papier journal. Après une interruption de deux ans, il reprend en 1967 son     travail artistique, et expose à la galerie de l’Attico à Rome, avec les artistes   de l’Arte Povera.

 

Depuis, l'ensemble de ses travaux s'attache à l’invention d’un langage     qui fait dialoguer la nature et la culture : un cactus, du charbon, un perroquet,     de la laine, du bois ou du café où se mêle le feu, "matériau" volatile     et incontrôlable... autant d’éléments qu’il met en scène pour composer     ce qu’il affirme être des "figures vitales". Il cherche en réalité à élargir "le royaume des sens" (Germano Celant), à donner à voir l’existence     précaire des choses, des éléments et leur signification. L'artiste a recours à des matériaux originels et chaque élément est rendu à sa singularité propre.

 

Dans les années 70, Kounellis intègre la dimension théâtrale et musicale à son œuvre. Il réalise plusieurs décors d'opéras. Il fait également référence         aux cultures méditerranéennes anciennes en proposant une relecture du sacré et         du mystère. Indifférent à la chronologie de son œuvre, l’artiste reprend         aujourd'hui certains motifs et certaines figures de son travail passé, dans des         installations qui conjuguent l’hermétisme au sensible pour élaborer une véritable       poétique.

 

Mario Merz
   
Milan, 1925 - Turin, 2003

  Kounellis-M.jpg (2595 octets)Mario Merz, Igloo de Giap,   1968 
  Armature de fer, sacs de plastique remplis de terre, tubes de néon, batteries, accumulateurs
  120 x 200 cm (diamètre)

Cet igloo, qui fait partie d’une série réalisée par l’artiste entre   1968 et 1969, est constitué d’une structure métallique en forme de demi-sphère,   sur laquelle sont fixés des treillages de métal ligaturés par des fils d’acier. L’armature est recouverte de petits sacs de plastique remplis de terre glaise.

Pour Mario Merz, l’igloo incarne la forme organique par excellence. Il est à la fois "le monde" et "la petite maison". Il est l’image     de la survivance, à la fois une édification nomade et un abri. Ici, il est utilisé   par l’artiste comme support d’une revendication tant politique qu’artistique.

Sur l’ensemble de cet igloo, en lettres capitales de néon, court la sentence   du général Giap en italien : "Se il nemico si concentra perde   terreno, se si disperde perde forza" (Si l’ennemi se concentre il perd   du terrain, et si l'ennemi se disperse, il perd sa force). L’inscription   de cette formule s’appuie sur la forme symbolique de la spirale, figure dynamique   qui résout le dilemme entre la force et l’expansion exprimé par le général   vietnamien. Mais la spirale se construit aussi grâce à la suite logarithmique   de Fibonacci, où chaque nombre est la somme des deux précédents et où le   rapport de deux termes consécutifs tend vers le nombre d'or. Elle rappelle ainsi   l’harmonie recherchée par les artistes de la Renaissance italienne, en même   temps qu’un rapport de proportion inscrit dans la nature. Par cette figure   géométrique qu’est la spirale, l’art, la vie et la stratégie de résistance   du général Giap sont posés en adéquation. Cette œuvre, contemporaine   de la guerre du Vietnam, est marquée par l’idéologie contestataire des années 60.

 

  Biographie

 

A la fin de la guerre, Mario Merz commence des études de médecine à Turin avant     de devenir peintre dans les années 50 : il est alors proche de l’informel.     Il élabore un vocabulaire peuplé d’images abstraites et de signes inspirés     directement de la nature. De cette période, l’artiste a détruit un grand   nombre d’œuvres.

 

Au début des années 60, il incorpore à ses travaux des substances organiques et     découvre les premiers éléments d’une thématique dont il ne se départira plus,     notamment la figure de la spirale, symbole du temps et de l’expansion   de l’espace.

 

En 1967, il participe, galerie La Bretesca de Gênes, à la première exposition     de l’Arte Povera, Arte Povera – Im Spazio, organisée     par le critique Germano Celant, rencontré un an plus tôt. Le travail de     l’artiste à cette époque consiste à confronter des objets naturels et symboliques à des structures correspondant à des modèles mathématiques, œuvres dont l’igloo   devient la forme emblématique (Igloo de Giap, 1968).

 

En 1969, il expose, à la galerie l’Attico de Rome, une installation intitulée Che Fare ? (Que faire ?), composée d’une Simca 1 000 traversée     d’un tube de néon, de branchages où sont posés des paquets de vitres empilées,   et d’un igloo translucide.

 

Dans les années 80, il renoue avec la peinture et concentre sa réflexion sur le     thème de l’animal, que ce soit le lion, la chouette ou le crocodile. Notamment     dans son Hommage à Arcimboldo, 1987, Mnam, il présente un crocodile naturalisé     confronté à la suite mathématique de Fibonacci. C’est l’occasion     pour l’artiste de donner à voir les deux grandes conceptions occidentales     de la nature : le spectacle, que l’on peut contempler dans les musées     d’histoire naturelle et, selon la formule de Galilée, le "vaste   livre … écrit en langage mathématique".

 

  Visiter un site sur Galilée  

 

 

 

Pino Pascali
    Bari, 1935 - Rome, 1968

     Pino Pascali, Le penne di Esopo, 1968   
    (Les plumes d’Esope)
    Armature en bois, laine d'acier tressée, plumes
    Profondeur : 35 cm, diamètre : 150 cm
Achat 1991
AM 1991-98

Cette œuvre appartient à une vaste série intitulée Ricostruzione della   natura (Reconstruction de la nature), 1967-1968, restée inachevée par la   mort de l'artiste. Faisant écho à la démarche des Futuristes italiens,   en particulier au manifeste de la Reconstruction futuriste de l’univers de 1915, cet ensemble est à la fois un programme d’imitation parodique   de la nature et une tentative de reconstruction des gestes élémentaires de l’homme   dans sa lutte pour la survie. A côté des Penne di Esopo (les plumes d’Esope),   Pascali a réalisé les fameux Bachi da setola, vers à soie à l’échelle   démesurée faits de brosses ménagères, ou encore L’arco di Ulisse (l’arc d’Ulysse) et La tela di Penelope (la toile de Pénélope), lesquels comme Le penne di Esopo, font appel à la mythologie gréco-romaine et plaident pour un retour à des valeurs originelles.

  Le penne di Esopo fut exposé pour la première à la Biennale de Venise de 1968. Sous une esquisse de l’œuvre, Pascali avait écrit :   "Hommage à un poète antique". A travers les symboles de la cible et   des flèches, il s’agit par conséquent de souligner le pouvoir du poète   pour qui les mots sont des armes. En ce sens, Le penne di Esopo n'est pas sans rappeler les premières productions de Pascali, les Armi (Armes). Cependant, à la différence de cette série qui présente des canons,   grenades et mitrailleuses comme des jouets de mort, à la fois sophistiqués et   puérils, les flèches évoquées ici suggèrent d’authentiques armes ayant la force de la simplicité.

 

Biographie

 

Après des études de scénographie et la réalisation de décors, Pino Pascali débute     véritablement une carrière artistique en 1964 qui s’achève seulement quatre   ans plus tard avec sa mort des suites d’un accident de moto.

 

Son travail s’est élaboré par cycles, développant chaque fois de     nouvelles propositions où, entre fiction et réalité, se jouent faux-semblants   et justesse du simulacre.

 

Les Quadri-Ogetti (Tableaux-Objets) de 1964, structures de bois     recouvertes de toile tendue peinte à l’émail, déclinent des détails de     l’anatomie féminine. Les Armi (Armes) de 1965, assemblages     d’objets disparates recouverts d’une couche de peinture verte, sont     des leurres pour jouer à la guerre qui deviennent, selon le critique Maurizio     Calvesi, un "meeting pacifiste, un spectacle de récitation, une séance   de jeu, une mauvaise aventure de la fantaisie".

 

Les Finte Sculture (Fausses Sculptures) de 1966 s’attachent   à inventorier "les animaux naturels" et la "nature vierge",       leurs formes tronquées, qui, sous prétexte d'évoquer la "décapitation du       rhinocéros" ou "de la girafe", parleraient plutôt de celle de       la sculpture. Enfin, les Elementi et la Ricostruzione della natura (1967-1968) s’interrogent sur le dialogue entre la nature et la culture,     par exemple en revisitant avec humour les mythes de Tarzan et d’Ulysse.

 

   

 

Giuseppe Penone
Garessio Ponte, Cuneo, Italie, 1947

    Penone-M.jpg (3383 octets)  Giuseppe       Penone, Soffio 6, 1978
    (Souffle)
    Terre cuite
    158 x 75 x 79 cm

Le Souffle témoigne de la volonté du sculpteur d’inscrire son geste   au plus proche de la permanence des mythes. Réalisée en terre cuite et constituée   de trois sections superposées, cette jarre est à la mesure du corps dont l’empreinte   y est pétrifiée. L’artiste fige dans le matériau la fluidité fondamentale   du temps. "Dans ce moment de prise de possession de la réalité, comment vivre le processus si ce n’est de l’intérieur ?", écrit Germano Celant.

Penone, attaché à vouloir renouveler son expérience, a réalisé six grands vases   semblables, faisant clairement apparaître une figure pétrifiée dotée d’un   cou et d’une bouche s’ouvrant sur une véritable trachée. Preuve, s’il   en faut, qu’il s’agit d’abord de signifier la relation physique   du sculpteur à l’œuvre. Mais plus largement c'est aussi de la relation   empathique de l'homme à la nature en général dont parlent ces œuvres. Le Souffle indique ainsi l'idée d'énergie impalpable, de signe de vie, de   survivance matérialisée par cette terre cuite, sorte de matrice de l'origine de la création.

 

  Biographie

 

Giuseppe Penone vit et travaille entre la France et l'Italie. Aussi est-il, à l’instar d’autres protagonistes de l’Arte Povera, l’une     des figures de l’art italien des années 60 dont l’œuvre se confond   intimement avec la situation spécifique du nord de la Péninsule.

 

Mais, à la pratique essentiellement ancrée dans le milieu urbain de différents     artistes qui lui sont proches, Penone veut opposer une œuvre soumise à – et complice de – la nature. Si ses premières pièces et expériences,     directement liées et conçues dans et avec la Nature, témoignent d’une     attention extrême aux "énergies à l’œuvre" (croissance,   équilibre, érosion, souffle), les réalisations qui suivent, où son corps devient     partie intégrante et outil d’introspection de l’objet visuel, prennent     une autre signification (Se retourner les yeux, 1970, Pression,     1974-1977, Patates, 1977). Il s’essaie ainsi à retrouver dans une     pratique purement sculpturale les processus imperceptibles et néanmoins vivants     de chaque modification (Souffle de feuille, 1982), attentif à l’état   transitoire des choses et à la préhension que son corps peut en avoir.

 

Alors que les éléments constitutifs de ses premières œuvres rejoignaient     le matériau caractéristique des pratiques "pauvres" ou "conceptuelles"     (matériel de projection, photographies, etc.), Penone a, au milieu des années     70, retrouvé par le bronze et les techniques les plus classiques ce qui, en     somme, est le sujet de son œuvre entière : révéler la nature dans la culture   et la culture dans la nature.

 

 

 

Michelangelo Pistoletto
 
Biella, Italie, 1933

     Michelangelo   Pistoletto, Metrocubo d’infinito,   1966 
  (Mètre cube d'infini)
  6 miroirs, cordes
120 x 120 x 120 cm
Achat, 1990
AM 1990-158

Le Metrocubo d’infinito (Mètre-cube d’infini) fait partie de   la série des Oggetti in meno (Objets en moins) qui, comme l’explique   Pistoletto lui-même, sont des objets "soustraits à sa propre unité",   autrement dit, des objets qui n’expriment pas sa propre personnalité puisque   ce sont des parodies des tendances artistiques contemporaines. Ainsi, le Metrocubo d’infinito emprunte la rigueur de l’Art minimal.

Cependant, au delà de la citation, Pistoletto poursuit avec cette œuvre   sa quête sur les effets du miroir. Ce matériau, utilisé depuis les Quadri-Specchianti (Tableaux-miroirs), pour introduire le mouvement dans la peinture, bénéficie   dans ce dispositif d’une démarche de "libération". En effet,   les miroirs placés ici à l'intérieur de la sculpture sont "si étroitement   proches" qu’on ne peut rien voir. Les six miroirs ne reflètent qu’eux-mêmes,   mutuellement et à l’infini. Comme le souligne l’artiste, "en   mettant le nez dedans, la dimension de ce qui se produirait à l’intérieur se serait altérée et le travail aurait changé".

 

  Biographie

 

Après les Tableaux-miroirs (exposés à partir de 1962), Pistoletto développe,     dès le milieu des années 60, la série des Oggetti in meno (Objets en moins).

 

En 1967, lorsque Germano Celant s’attache à définir le concept d’Arte     Povera, Pistoletto en incarne déjà certains principes, comme l’usage     de matériaux non nobles. Pourtant, son œuvre reste singulière au sein du     groupe. Marqué par les expériences du Living Theatre, il créé sa propre     compagnie, le Zoo, active jusqu’en 1969, dans laquelle l’implication     du public trouve, par rapport aux miroirs, une "orchestration" concrète,   hors du champ des arts réputés "plastiques".

 

Pour Pistoletto, l'utilisation des miroirs prend paradoxalement naissance dans     un amour de la sculpture, détourné au profit d’une réflexion sur la peinture     pour, en définitive, renouer avec la tridimensionnalité, en autant d’étapes,     depuis les Tableaux-miroirs jusqu’aux sculptures en polyuréthane et en   marbre des années 80.

   

 

Gilberto Zorio
   
Andorno Micca, Italie, 1944

    Penone-M.jpg (3383 octets) Gilberto   Zorio, Per purificare le parole, 1969  
  (Pour purifier les paroles)
  Tuyau de pompier (caoutchouc dur gainé de grosse toile), embouchure en zinc ;   tubes en fer
  Hauteur : 170 cm, diamètre : 300 cm

Cette œuvre, une des premières pièces de la série Per purificare le   parole commencée en 1969, se présente comme un alambic élémentaire   propre à un rite initiatique. Il symbolise l'acte mental de purification   des paroles que l'on sépare de leurs scories, grâce à un processus de transformation matérialisé par le circuit du tuyau.

Les installations ultérieures de cette série, plus élaborées, comportent des   objets fragiles (creusets, urnes en céramique, vasques de peau) en équilibre   précaire à l’intersection de perches courbes, ou disposés selon une forme récurrente en étoile.

Ces pièces proposent à celui qui se prête à l'expérience de voir ses paroles devenir esprit.

 

  Biographie

 

Depuis sa première exposition à la galerie Sperone de Turin en 1967, l’œuvre     de Gilberto Zorio est liée à l’histoire de l’Arte Povera.
    Les premières productions sont des objets étranges, résultats d’actions       achevées ou en cours, mettant en jeu des forces physiques et des réactions chimiques       simples : Colonne, 1967, tube d’éternit en équilibre sur des       chambres à air ; Rose/Bleu/Rose, 1967, cylindre d’éternit coupé     dans sa longueur et rempli d’un mélange de plâtre et de cobalt qui change       de couleur au gré des variations de l’humidité de l’air ; Piombi,       1968, constitué de deux plaques-récipients de plomb contenant respectivement       de l’acide sulfurique et de l’acide chlorhydrique qui attaquent, plus       ou moins lentement, et en prenant des couleurs différentes, une barre de cuivre     recourbée dont les extrémités baignent dans les acides.

 

Viennent ensuite des pièces impliquant l’action et la réaction du corps     de l’artiste comme Odio (colère en italien), mot inscrit à la hache     dans un mur. Le rôle des mots et de la parole est ici capital dans une œuvre   traversée, "informée" par la langue.

 

En 1969, Zorio participe à la célèbre exposition Quand les attitudes deviennent     forme, organisée par Harald Szeemann à Berne. A cette occasion, il     réalise Torcia, pièce radicale où des torches enflammées, suspendues     au-dessus du sol, tombent en provoquant l’effondrement et la destruction   de l’œuvre.
  En 1969, il expose également à Paris pour la première fois, et à New York pour     la manifestation Nine at Castelli où, avec Anselmo, ils     sont les seuls artistes européens confrontés aux artistes du Process Art,   de l’Antiform et du Post-minimal.

 

 

Textes de référence

Germano Celant, "Notes pour une guérilla", Flash Art, Milan, novembre-décembre 1967 (extrait).
Reproduit dans Identité italienne, l’art en Italie depuis 1959,   sous la direction de Germano Celant, Ed. du Centre Pompidou, Paris, 1981, pp.   218-221.

Le choix d’une expression libre engendre un art pauvre, lié à la   contingence, à l’événement, au présent, à la conception anthropologique,   à l’homme "réel" (Marx). C’est là un espoir, un désir réalisé   de rejeter tout discours univoque et cohérent (…) car l’univocité   appartient à l’individu et non pas à "son" image et à ses produits.   Il s’agit d’une nouvelle attitude qui pousse l’artiste à se déplacer,   à se dérober sans cesse au rôle conventionnel, aux clichés que la société lui   attribue pour reprendre possession d’une "réalité" qui est le   véritable royaume de son être. Après avoir été exploité, l’artiste devient   un guérillero : il veut choisir le lieu du combat et pouvoir se déplacer   pour surprendre et frapper.

 

Giuseppe Penone, textes extraits de Respirer l’ombre,     Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, Paris 2000.

La nature, le paysage européen qui nous entoure est artifice,   il est fait par l’homme, c’est un paysage culturel. L’action   de l’homme a modifié la nature préexistante, en en créant une nouvelle,   produit de son action, de son art. La valeur culturelle la plus immédiate d’une   œuvre humaine tient souvent à ce qu’on la reconnaît. On a tendance   à séparer l’action de l’homme de la nature comme si l’homme n’en   faisait pas partie. J’ai voulu fossiliser l’un des gestes qui a produit   la culture. 1977 (p.91).

Une œuvre d’art se fonde sur les sens et sur la logique qui   en dérive. C’est un langage fondé sur ce que nous percevons et qui, d’après   la science actuelle, est très différente de la réalité. La réalité atomique   des choses, d’un objet, d’un tableau, d’une sculpture, d’une   feuille de papier, est un espace où évoluent des systèmes d’atomes qui   ont peu de choses en commun avec l’apparence de ce que nous touchons. La   réalité est invisible et intangible. C’est une grande libération ;   la certitude que ce que nous croyons voir, n’est pas la réalité des sens   mais la réalité définie par la science grâce à un langage mathématique et scientifique   qui est certes engendré par les sens mais tend à en nier l’exactitude et   la capacité de compréhension et d’analyse. C’est un contresens fantastique.   C’est le principe qui détermine la stupeur entre un paysage réel et le   même paysage peint. 1983 (p.131).

 

Michelangelo Pistoletto, extrait de "Le Ultime Parole Famose",     Turin, 1967, Traduction française dans Arte Povera, Art Editions     Villeurbanne, 1989, pp. 231-234.

[…] Ma marche actuelle est ainsi latérale.
  Chaque production est pour moi libération, ce n’est pas une construction   qui veut me représenter. Je ne me contemple pas non plus sur mes travaux et   nul ne peut se réfléchir sur moi, à partir de mes productions. Chaque œuvre   réalisée est destinée à poursuivre seule sa route, elle ne m’entraîne pas   à sa suite dès lors que je m’active déjà sur un autre terrain. Le problème   posé par l’actualité immédiate n’a plus de sens dans les formes choisies.   Pas question de changer les formes tout en laissant le système intact, il faut   plutôt emmener intactes les formes, hors du système. Pour être à même de le   faire, il faut être absolument libre. Considérer l’actualité des formes   revient à ne pas être libre de considérer les formes du passé. Comme nul ne   possède les formes de l’avenir, à l’intérieur du système, la liberté   consiste à pouvoir faire qu’une seule chose.

Pour moi, il est des formes plus ou poins actuelles ; toutes les formes   sont à notre disposition, tous les matériaux, toutes les idées et tous les moyens   de les exprimer. Le chemin où l’on marche en biais sur le côté mène hors   du système, qui lui, va tout droit. Devant nous, plus aucune ligne d’arrivée,   où arriver premier serait méritant, où arriver dernier ferait courir un blâme.   Toute course effrénée vers un point abstrait engendre un système de conflit   entre individus et masses. Avec l’avancée sur le côté, la course   entre individus se fait sur des lignes parallèles. C’est que chaque individu   avance à sa façon, sans se projeter hors de lui, ni sur des points abstraits,   ni sur les autres. Sur cette voie, il n’y a pas de meilleurs ni de pires :   chacun est ce qu’il est, chacun fait ce qu’il fait. Ici nul n’a   besoin de feindre pour paraître le meilleur, et il devient très facile de communiquer   dans un langage non structuré, parce que chacun fait facilement comprendre qui   il est et comme il est. Finalement, pour comprendre et communiquer, les mécanismes   de la perception peuvent fonctionner à plein.

Textes de référence
Germano Celant, "Notes pour une guérilla",   novembre-décembre 1967
  Giuseppe Penone, textes extraits de Respirer l’ombre,   2000
  Michelangelo Pistoletto, extrait de Le Ultime   Parole Famose, 1967

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